Durant toute mon enfance, ma mère m'a beaucoup poussé à dessiner, et j'éprouvais alors un grand plaisir à le faire. J'avais deux sujets de prédilection : les exploits de l'AS Saint-Étienne et la mer, que je n'avais jamais vue. Ma mère était convaincue que je serais plus tard un grand artiste, certitude qui inquiétait un peu mon père. Aussi décida-t-il un jour de recourir à un avis indéniablement compétent, en l'occurrence celui d'un de ses amis, gendarme de profession.
Je connaissais de vue cet énorme Monsieur, qui s'arrêtait à la maison pour boire un coup avec mon père. Par sa stature gigantesque, son uniforme, sa moustache et son accent bizarre, il m'inquiétait un peu. C'est donc forcé et tremblant, je lui ai donc montré quelques gouaches, en particulier une sorte de marine tempétueuse qui a fait son admiration. Je me souviendrai toujours de son commentaire :
– Té, Lucien, on voit bien que ton fils est un vrai artiste. Il peint le ciel vert. Les idiots disent que le ciel est bleu, mais à Marseille, il est vert. Il ira loin ton petit !
À la suite de cette intervention critique, qui encourageait le vœu de ma mère, je me suis mis à penser que j'allais peut-être devenir un artiste, et tant pis pour ma carrière d'ailier gauche à l'ASSE.